Happy Moi, une association née d’un combat personnel
Sandrine Dumont :
“J’ai cinquante ans, je vis en région parisienne avec mon conjoint et nous n’avons pas d’enfant malgré notre parcours long et pénible de PMA (procréation médicalement assistée). Un parcours au long duquel on a manqué d’accompagnement et de préparation à un potentiel échec. A la fin du parcours, on s’est retrouvé un peu le bec dans l’eau, on avait l’impression qu’on était les seuls au monde pour qui la procréation médicalement assistée ne fonctionnait pas. C’était vraiment difficile de trouver des gens qui, comme nous, avaient échoué et décidaient d’abandonner. On ne voyait que des gens aux discours de gagnants, qui continuaient à se battre et on ne s’y retrouvait pas. Lorsque j’ai retrouvé la joie de vivre, j’ai eu envie de partager mon expérience pour qu’elle puisse aider tous ceux qui vivent la même chose aujourd’hui.”
Redonner une voix à celles que la maternité a oubliées
Sandrine Dumont :
« L’objectif de mon association Happy Moi, c’est d’aider tous ceux qui n’ont pas réussi à avoir d’enfants quelle qu’en soit la raison : des échecs de PMA, des maladies qui rendent toute grossesse impossible, le fait qu’on soit célibataire et qu’on ne se voit pas parent solo, ou qu’on soit en couple avec quelqu’un qui a déjà des enfants et qui n’en veut plus…
Nous avons en commun un désir d’enfant qui n’a pas pu être accompli et on se sent triste, en décalage avec le reste de la société. Ce qu’on veut, c’est dire aux gens : “vous n’êtes pas seuls, ne nous cachons plus”.
Nous sommes en réalité très nombreux dans ce cas-là mais on n’entend pas parler de nous parce que nous sommes dans l’angle mort de la société. L’association vise à accompagner les gens qui vivent cela et à sensibiliser le grand public.”
Beaucoup d’inscrits et peu d’élus entre PMA et adoption

Beaucoup d’inscrits et peu d’élus entre PMA et adoption
Etre infertile dans une société où avoir des enfants est la norme
Sandrine Dumont :
“Pour moi les enfants, ça faisait partie d’un schéma de vie classique que je ne pouvais pas remettre en question. Autour de moi, tout le monde avait des enfants, je ne savais même pas que c’était possible de ne pas en avoir ! Être dans la norme, c’est faire des études, trouver un travail, rencontrer un chéri ou une chérie, se marier, et puis faire des enfants avant d’acheter un Volvo break, un labrador et un pavillon en banlieue.”
Endométriose et désir d’enfant
Sandrine Dumont :
“J’ai su que j’étais infertile avant que mon désir d’enfant n’ait vraiment été conscientisé ou urgent. Je voulais des enfants, mais je n’avais pas encore cette envie irrépressible, or quand à l’âge de trente-deux ans, j’ai eu des douleurs gynécologiques qui ont été suivies d’une opération, on m’a dit « Madame, vous avez de l’endométriose. Vous aurez des problèmes pour avoir des enfants, mettez-y vous sans attendre.» Avant même d’avoir laissé le désir d’enfant mûrir gentiment en moi, j’ai donc su que ça serait compliqué d’en avoir et ça m’a fait complètement vriller. Ca a faussé toute réflexion, toute émotion, je ne me considérais plus que comme une femme potentiellement infertile. L’horloge biologique s’est déclenchée à l’intérieur de moi, j’avais une date de péremption et plus j’attendais, plus ça risquait d’être compliqué. En plus, je n’avais pas d’exemple social de femme sans enfant qui soit une femme dite “normale”, c’est-à-dire qui ne soit ni astronaute, ni marathonienne, ni Oprah Winfrey…! Pour autant, je ne pensais pas que tomber enceinte serait impossible, juste plus difficile que pour les autres.”
Le début d’un parcours du combattant
35 ans, célibataire et infertile : la loose !

35 ans, célibataire et infertile : la loose !
Une rencontre inattendue comme dans une comédie romantique
Sandrine Dumont :
“Finalement, c’est au travail que j’ai rencontré mon partenaire ! C’était comme dans les films américains un peu niais : on se voit, tout est flou autour de nous, plus rien n’existe, c’est vraiment l’amour fou. J’avais trente-six ans et on est encore ensemble. J’ai toujours ce sentiment quand il rentre le soir, ce petit moment d’apesanteur avec les petits oiseaux qui chantent en fond sonore.”
Un second parcours PMA avec un nouveau partenaire de route
Sandrine Dumont :
“J’avais trente-huit ans. On a donc été directement à l’hôpital pour faire des Fécondations In Vitro, une technique qui a plus de succès que l’insémination artificielle. La femme a un traitement de stimulation hormonal pour l’aider à produire des ovocytes. Dans un cycle normal, sans stimulation, on en produit normalement un par cycle. Là, on en fait produire beaucoup afin de pouvoir les ponctionner, les mélanger avec le sperme de Monsieur en laboratoire et les faire mûrir en embryons avant de les transférer chez Madame, en espérant que ça puisse donner un bébé. J’ai fait trois FIV en cinq mois sans jamais tomber enceinte. On m’a donné des traitements de cheval, mais j’étais ce que les docteurs appellent très joliment : une mauvaise répondeuse. Quand on demandait aux médecins pourquoi ça ne marchait pas, ils n’avaient aucune réponse. Au début du processus, on nous a recommandé de ne pas nous inquiéter pour finalement nous dire : “ça ne marchera jamais avec vous. Allez en Espagne acheter des ovocytes, vous aurez peut-être une chance là-bas.”
Concilier PMA, travail, fatigue, couple et vie personnelle
Sandrine Dumont :
“Personnellement, je n’ai pas géré ! Pas du tout. Ça a été cinq mois horribles. Quand on fait une PMA, on va faire des échographies et des prises de sang tous les deux jours pour vérifier que le corps réagit bien aux stimulations hormonales. Quand l’hôpital est très loin de chez vous, il faut se lever à quatre heures du matin pour y être à sept heures. Vous attendez dans une salle d’attente où il n’y a que des faire-parts de naissance, ce qui vous donne de l’espoir : ça va finir par marcher, regardez tous ces bébés… Ensuite le médecin vous examine, ajuste la dose de stimulation si besoin, et vous arrivez enfin au travail à dix heures du matin. Là, vos collègues vous font des petites remarques : “Ben pourquoi t’es en retard ? T’as pourtant pas d’enfants à amener à l’école !” Après, vous menez votre journée de travail sous pression pour partir vite le soir et rentrer faire la piqûre avec la stimulation hormonale à l’heure pile. Cette piqure a besoin d’être au frigidaire et je n’en avais pas au travail. Donc le quotidien est une course. Je n’avais plus l’énergie pour autre chose, même l’idée d’aller au cinéma était une montagne. J’étais épuisée. Je ne comprends pas ceux qui conseillent de vivre normalement et de faire comme si de rien n’était. Moi je n’ai pas réussi.”

L’accompagnement médical pendant un parcours de PMA
Sandrine Dumont :
“On a été très mal accompagnés pendant toutes ces années. On a testé deux hôpitaux. Dans le public, on nous a mal parlé, les patients sont soignés à la chaîne. Je ne jette pas la pierre aux soignants parce qu’ils sont en sous-effectif, mais il n’en reste pas moins que factuellement, on est maltraités. Quand on a voulu savoir pourquoi la FIV n’avait pas marché, on a dû jouer des pieds et des mains pour avoir un simple rendez-vous explicatif. On l’a finalement obtenu en payant une consultation avec un médecin dans un cabinet privé, médecin qui nous a dit : “Pour vous faire plaisir, je peux vous refaire une FIV, mais ça ne marchera pas…” En sortant, on était estomaqués : à quel moment est-ce qu’un médecin pense que ça fait plaisir de faire une FIV en fait ? On a vraiment eu la sensation que les gens du corps médical sont hors-sol, déconnectés.”
PMA, entourage et vie en entreprise
Sandrine Dumont :
“L’employeur a des droits à respecter envers les femmes enceintes. Pendant longtemps, ce n’était pas le cas pour les femmes qui vivaient des traitements de PMA, mais maintenant ça a changé. On a le droit à des autorisations d’absence. Malgré tout, on est très seule face à tout ça. De manière générale, l’entourage marche sur des œufs. Très souvent, ils font comme si ça n’existait pas, ce qui n’est pas terrible. Et puis quand ils en parlent, c’est souvent avec maladresse, même si ça ne part pas d’une mauvaise intention bien sûr. Par exemple, quelqu’un qui a plusieurs enfants m’a dit : “c’est pas grave de ne pas avoir d’enfants, on peut être heureux sans…” Les rares fois où on ose se confier, on n’a pas les retours qu’on espère, on ne se sent pas compris, alors on arrête d’en parler et on se renferme. J’ai compris que ce qui change tout c’est de pouvoir en parler à quelqu’un qui vit la même chose que nous, et j’ai mis du temps à trouver. Le jour où j’ai pu en parler avec quelqu’un “comme moi”, ça a été le premier jour du reste de ma vie, comme un petit phare dans l’obscurité. Quand tu retrouves une communauté avec laquelle tu partages les mêmes choses, tu n’as pas besoin d’expliquer ce que tu vis, ce que tu ressens, on te comprend directement et ça met un réel baume au cœur.”
D’autres moyens de devenir parents, en France et à l’étranger
Sandrine Dumont :
“Lorsqu’on a réalisé que les FIV ne marcheraient pas, on s’est assis pour parler des solutions dont on disposait pour avoir un enfant, très rationnellement. Il y avait le don d’ovocytes à l’étranger, parce qu’en France j’étais trop âgée pour être éligible. A l’étranger, c’est payant. On a demandé un devis… C’est affreux de parler de devis, mais c’est le terme. A l’époque c’était huit mille euros pour une tentative en Espagne.
Ca me fatiguait déjà d’aller à l’autre bout de l’Ile de France pour faire des FIV, alors traverser l’Europe pour payer aussi cher… On a décidé que le don d’ovocytes, ce serait non. On avait une deuxième possibilité : faire une GPA (gestation pour autrui) aux Etats-Unis. Mais, juridiquement c’est compliqué de revenir en France avec un bébé. Accessoirement, on n’avait pas cent mille euros. Donc, on a aussi mis l’option GPA de côté. Troisième possibilité : l’adoption. On s’est renseigné, mais pour adopter, il faut un agrément. Le conseil général peut donner un agrément une fois qu’on a pu avoir plusieurs rendez-vous avec des psy et des assistantes sociales qui donnent leur feu vert. En 2012, il y avait vingt-huit mille agréments en cours et deux mille adoptions. Même en n’étant pas très douée en maths, j’ai compris que ça ne nous laissait pas beaucoup d’espoir. En plus, les délais d’attente étaient très longs et l’âge de l’enfant attribué dépendait du nôtre. Donc, si j’attendais cinq ans, j’aurais eu quarante-trois ans et j’aurais pu avoir un enfant âgé entre cinq et dix ans… Je ne me sentais pas capable de devenir la maman d’un “grand” enfant, avec son vécu, ses traumas, un enfant qui aurait parlé une autre langue que la mienne. En mettant de côté toutes ces possibilités, on a compris qu’on n’aurait pas d’enfants ensemble. C’était cuit.”
Quand la PMA échoue : le tabou du deuil de maternité
Sandrine Dumont :
“On n’a pas un déclic qui se fait du jour au lendemain. On se donne d’abord le temps d’y réfléchir. Cela m’a pris plusieurs semaines pour vraiment accepter de me dire que non, je n’avais plus envie d’essayer quoi que ce soit pour tomber enceinte. Je ne voulais plus subir d’échec. Physiquement, j’avais envie de retrouver ma vie et mon couple avec mon chéri d’amour. Chez moi, c’est noir ou blanc, je ne sais pas bien faire gris.”
La peur d’être quittée à cause de son infertilité
Sandrine Dumont :
“Lorsque j’ai pris conscience que je ne voulais pas continuer, j’étais persuadée que mon compagnon allait me quitter. Il a sept ans de moins que moi et n’a pas de problème de fertilité, il avait envie d’avoir des enfants, donc j’étais convaincue qu’il allait partir pour une petite minette avec des ovaires en pleine forme. Mais j’étais très amoureuse et je n’avais pas envie de le perdre. Quand je lui ai annoncé, il m’a répondu que lui non plus ne souhaitait pas continuer à essayer d’avoir un enfant. Il trouvait cela trop difficile et pensait qu’on pouvait être heureux à deux, que ça marchait très bien comme ça. Sa réaction m’a beaucoup rassurée, même si je me sentais encore très coupable de ne pas avoir réussi là où toutes les femelles mammifères parviennent à se reproduire. Dans la rue, je voyais des femmes enceintes partout, des petits bébés… Chez les copains, le chat attendait une portée. C’était une conspiration, tout le monde avait des bébés, sauf nous.”
Se reconstruire avec la thérapie
Sandrine Dumont :
“Je n’arrivais pas à retrouver ma vie heureuse d’avant et à quarante ans, j’ai eu un déclic. Je me suis dit : “ça y est, je suis à la moitié de ma vie”. Et la deuxième moitié de ma vie, est-ce que j’allais la passer à végéter dans une espèce de déprime ou est-ce que je pouvais retrouver le vrai moi, étouffé sous des couches de tristesse sans parvenir à s’en dépêtrer ? J’ai décidé d’être suivie par un psychologue pendant presque deux ans. J’ai aussi essayé la sophrologie, l’acupuncture et la kinésiologie. Certaines thérapies ont fonctionné, d’autres non. J’ai pu clarifier le pourquoi de mon désir d’enfant : avoir des enfants, ça voulait dire quoi, pour moi ? J’ai réfléchi à d’autres façons de satisfaire ce besoin inassouvi. Les professionnels m’ont aussi beaucoup aidée à déculpabiliser en me montrant que j’avais fait tout ce qui était en mon pouvoir. Aujourd’hui, je vis ma meilleure vie. Avec mon conjoint, on fait ce qu’on aime, ce qui nous fait du bien, simplement.”